mercredi 26 avril 2017

Mondes en campagne

En politique, comme ailleurs, la campagne est un moment fort et marquant. Pousser de la figurine en mettant joyeusement sur la tronche de son adversaire pour une bataille est une chose, le faire au fil de différentes parties avec des troupes qui évoluent et des enjeux qui changent en est une autre nettement plus passionnante. Parce qu'elles créent du récit, les campagnes génèrent échanges et créativité dans une saine émulation pour des moments inoubliables et partagées. Car là où le dispositif traditionnel du jeu vous invite souvent à jouer contre votre adversaire, la campagne oblige à jouer avec lui, à collaborer pour concevoir des scénarios, des décors, des personnages et des parties épiques et mémorables. Si des jeux comme Mordheim ou Necromunda sont restés dans les mémoires, c'est en grande partie grâce à cela. Petit regard sur quelques héritiers contemporains et quelques moyens de jouer en campagne.
Au milieu des étendues gelées de Frostgrave, personne ne vous entendra invoquer des boules de feu...

Parmi les premiers à s'aventurer sur le terrain du jeu en campagne au travers de Necromunda (1995), les zigotos de chez Games Workshop, en surfant largement sur la vague de rétrostalgie qui animent leurs fans tout en tâchant de convertir de nouveaux joueurs, font revivre le grand ancien en intégrant les derniers amendements mais en évinçant totalement la toile de fond d'origine. Le nouveau venu s'appelle Shadow War : Armageddon, et place en effet les factions ordinaires du futur hanté par d'incessants combats dans les recoins d'une cité-ruche, bataillant pour quelques gouttes de prométhéum. Comme son ancêtre la boîte (indisponible dès sa sortie, à la façon d'un Space Hulk 2009) contient une vingtaine de figurines (mais aucune nouvelle) et quelques grappes de décor (le carton d'époque étant là remplacé par de nouveaux kits plastiques). Clairement, ce sont ces derniers les stars du show.
Shadow War : Armageddon, enfant illégitime de Necromunda. Les décors plastiques en plus, le background génial en moins.
Les combattants sont de bêtes éclaireurs space marines et des orks dont la sculpture commence à dater, quant au background, il est réduit à peau de chagrin, les sections de chaque joueur s'affrontant pour des réserves d'énergie. Si on peut y voir un parallèle avec le monde contemporain, l'ambitieux décor des espaces souterrains d'une ruche qui voyait s'affronter des gangs variés au design original a disparu. Finies les rivalités entre factions joliment troussées et pleine de personnalité : place à de simples accrochages dans les tréfonds d'un monde industriel entre tout ce qui peuple le lointain futur. Zéro originalité, zéro récit, zéro personnage haut en couleurs, zéro ligne de force : Shadow War ne propose qu'une nouvelle façon de jouer. Côté règles, on retrouve les règles de l'ancêtre telles que plus de vingt ans de jeu ont pu les voir peaufinées par les joueurs du monde entier mais là encore (comme pour Blood Bowl), on peut déplorer un manque d'innovation criant. Games Workshop rate là encore une fois une belle occasion d'apposer de nouveau sa marque dans le monde de la figurine se contentant de recycler une de ses bonnes idées de jadis sans rien proposer de plus qu'une vague occasion d'acheter des décors.
Une illustration qui pète, des gangs variés et un historique attachant. Necromunda reste en dépit de son âge et de ses règles vieillottes une référence de l'escarmouche "sci-fi grimdark".
Ceci dit, si le système est vieux, il reste efficace pour qui n'a pas peur des systèmes qui ne cherchent pas trop l'optimisation mais une unité d'approche et une efficacité grossière à défaut d'être moderne. Petit hic, les mercenaires et autres personnages spéciaux sont totalement absents, remplacés par des spécialistes recrutables pour une mission sans aucun nom, ni historique, ni rien qui favorise la plongée dans une histoire et un décor. Une proposition générique à défaut d'être inventive et généreuse. Dépassés par la réussite de cette opération petit-bras, les gus de Nottingham ont du annoncer en catastrophe une nouvelle impression prochaine de l'ouvrage de base augmenté des règles pour jouer de nouvelles factions déjà préexistantes... Les fichiers contenant les profils de la plupart des bandes sont cependant disponibles gratuitement en PDF sur le site de GW (manquent les scouts Space Marines, la Garde Impériale et les Orks qui figurent dans le bouquin).
Franchement les gangs de l'époque avaient nettement plus de style que les machins génériques d'aujourd'hui. Shadow War n'a même pas été l'occasion de voir sortir une figurine originale...
Toujours dans la science-fiction, Mantic, la petite boîte anglaise qui monte en marchant sur les plate-bandes laissées en friche par GW s'est aussi engouffrée dans le vide, qu'elle avait finement perçu. Une place étant à prendre dans l'escarmouche et le jeu en campagne, après le lancement de proxy plus ou moins réussis parce que low-cost pour Warhammer Battle et 40k, c'est Deadzone qui déboule sur Kickstarter en 2013 avec des factions assez transparentes mais des décors plastiques modulables plutôt réussis. Le système mêle dés, cartes et cases des mouvement avec une certaine élégance et ce qu'il faut d'innovation, le tout tourne pas mal et constitue une plutôt bonne surprise. Le seul problème venant des figurines qui vont de réussies à totalement loupées sans compter que Mantic est encore avec son restic pénible et que le tout n'est ni homogène ni vraiment original.
La 2ème édition de Deadzone. Une boîte tout-en-un qui permet de jouer assez vite (mais qui a maigri depuis la boîte de la première édition !).
Fidèle à sa réputation, Mantic chasse sur les terres désertées par GW et ressuscite les nains du futurs (Forge Fathers), mêle le tout avec des zombies infectées (Plague) avant d'aller jusqu'à revenir aux Veer-Myns (des skavens de l'espace qui ne disent pas leur nom) timidement introduits dans leur space-hulk like Project Pandora : Grim Cargo. Car Deadzone, comme nombre de jeux Mantic repassera par la case financement participatif avec une seconde campagne pour financer une seconde édition destinée à harmoniser et simplifier le système. Quelques nouvelles grappes de décors et unités complètes le tout pour un système lissé mais qui perd du coup en profondeur sans pour autant être dépouillé de tout intérêt.
Plutôt bien pensés, les décors Mantic permettent d'habiller une table de jeu plutôt efficacement.
Comme souvent avec Mantic, on est au milieu du gué. il faut reconnaître que la gamme de décor est abordable et permet de remplir rapidement une table à relativement peu de frais, que le système tourne plutôt bien et que la V2 ne nécessite pas beaucoup de matériel, que le jeu en campagne et l'évolution des figurines est bien pensée mais que faute de soutien efficace, Deadzone a bien du mal à prendre. Ceci dit, il reste un système de campagne et d'escarmouche plutôt intéressant dont le background, en s'étoffant, prend peu à peu de la distance avec le ton générique de ses débuts.

Les soldats de Frostgrave. Un kit modulable sorti chez Northstar, plein de variété et de possibilités. On marche dans la droite ligne du kit de mercenaires pour Mordheim paru chez GW à l'époque.
Dans un autre registre, innovant aussi bien dans le décor proposé que dans les mécaniques, Frostgrave, publié chez Osprey invite et incite également à jouer en campagne dans les étendues glacées d'une cité fabuleuse encore largement prise dans les glaces. Outre un bestiaire varié, le jeu met aux prises diverses bandes rivales menées par des magiciens pouvant venir de traditions différentes. Tout tient dans un petit ouvrage et est parfaitement compatible avec n'importe quelles figurines fantastiques. Simple le système met l'accent sur le récit et l'interaction. Quelques scénarios sont proposées et des extensions proposant de jouer avec des forces différentes se sont ajoutées au fil du temps mais sans donner dans une surenchère de propositions mercantiles, le tout restant homogène et plutôt bien pensé. Le coût modeste du bouquin (disponible en français grâce au Studio Tomahawk) rend le tout très abordable.
Frostgrave Folio, une compilation de différentes extensions pour le jeu de Joseph McCullough.
Côté système et évolution, seul le magicien, sont apprenti et éventuellement (selon les options choisies et les extensions utilisées) quelques personnages importants de la bande. La gestion du groupe se fait très simplement et le gros de la bande sert donc de chair à canon que le destin peut vite faire disparaître (un constat qui s'applique à tout le monde, le système permettant à un péquin de base de mettre in à la carrière du mage adverse pour peu que celui-ci soit imprudent et son agresseur en réussite). Rapide à mettre en place et à expliquer le système tourne bien et permet en une soirée de se concentrer sur le jeu plus que sur les règles, proposant de développer facilement une campagne dans la cité gelée. Une proposition modeste donc mais bien pensée et homogène qui ne nécessite pas un investissement trop important. En outre, l'uniformité du système et sa simplicité permet de mettre l'accent sur le jeu et l'histoire qui se crée naturellement grâce au système et à ses propositions. Un des plus intéressants enfants illégitimes de Mordheim et une belle réussite (qui sera déclinée en mode île lointaine avec quelques twists d'ici quelques mois, de quoi renouveler le plaisir et l'approche), d'autant une fois encore que tout matériel fantastique est parfaitement réutilisable (il n'est pas forcément besoin de se lancer dans la création d'une table enneigée pour profiter du jeu).
Le contenu de base de la boîte de Burn Out. Toutes les règles qu'il vous faut pour jouer avec vos figurines Eden existantes.
Nouveau changement de décor puisqu'on glisse vers le futur apocalyptique d'Eden grâce à Burn Out, une extension pour le jeu actuellement en cours de financement sur la plate-forme de financement participatif Kickstarter où le projet rencontre un joli succès. Jeu d'escarmouches dans un futur entre Mad Max et Fallout (pour lequel Modiphius vient d'annoncer une déclinaison en jeu de figurines), Eden oppose des factions au fil d'un système abouti mais jusqu'ici frustrant en ce qu'il ne permettait pas de faire évoluer ses personnages. Burn Out propose de remédier à cela en opposant des bandes de combattants au fil de scénarios qui les verront évoluer et gagner en compétence. Jusque là très orienté tournoi avec des règles équilibrées et au poil, Eden y gagne une profondeur tout ce qu'il y a de bienvenue (en tout cas sur le papier) tout en se dotant de quelque chose qui (mais ce n'est que mon point de vue) faisait jusque là furieusement défaut : des kits modulables. La campagne fonctionnant bien, des starters permettant de monter des combattants de différentes factions (quitte à mixer certains d'entre eux) sont en cours de financement, une très bonne chose. Pour le reste, Burn Out ajoute ce qui manquait également cruellement à Eden : une troisième dimension. C'est Minus qui est notamment derrière l'extension et c'est tant mieux.
4 figurines, des dizaines de combinaisons possibles. le bonheur.
Jusque là quasiment confié à une table plate parsemée de quelques décors chiches, l'extension intègre des règles pour gérer des bâtiments. Rien à voir avec Escape (qui gérait le tout en simples couloirs et portes en 2D), on pourra ici grimper dans les décombres et évoluer à différents niveaux. Seul petit hic, les décors fournis sont en carton fort. Une solution certes économique mais peu attrayante (le côté propre et lisse de l'impression sur carton ne sied guère au monde ravagé d'Eden et le rendu sur table n'est pas formidable), un partenariat pour avoir des décors en MDF ou en résine aurait été idéal. Rien n'empêchera toutefois de jouer avec des décors maisons, bien au contraire. Après Stygmata, Burn Out se présente comme une extension parfaite pour explorer le monde ravagé d'Eden, d'autant qu'Happy Games Factory a eu la bonne idée de proposer pendant la campagne des packs permettant, moyennant finance, de remplacer les jetons de créatures par des figurines. On espère beaucoup de scénarios variés et des PNJs passionnants qui ancreront durablement le jeu sur les tables et dans l'imaginaire des joueurs. Les plus anciens auront remarqué que si GW jette le background de Necromunda, une certaine Mad Dona figure dans les bonus du KS de Burn Out. Coïncidence ? Je ne crois pas... :)
La version Eden/Burn Out, on sent que Mad Max n'est pas loin

La version Necromunda (en bas). Plus punk :)




2 commentaires:

  1. Merci pour ce tour d'horizon. On sent que tu tâches d'être objectif, avec un regard critique sur les jeux abordés, et c'est bien !
    Pour Burn out, le livre de règles contient 25 scénarios. Sachant qu'en début de partie, les joueurs piochent au hasard un objectif secondaire secret parmi les neuf disponibles, ça permet une grande rejouabilité sans faire deux fois la même partie. S'y ajoutent un scénario exclusif accompagnant les peluches du Kickstarter, ainsi qu'une campagne narrative centrée, elle, sur les 2 starters (Convoi et Askaris) qui accompagnent la sortie du jeu.

    Encore merci d'avoir parlé de Burn Out, j'espère que tu nous feras part de tes impressions après sa sortie !

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    1. Merci pour tes éclaircissements, c'est cool de pouvoir être aussi transparent sur le jeu.
      Comme tu dis, je "tâche" d'être objectif. Je n'ai pas tout mis mais l'idée c'était de balayer les propositions actuelles les plus intéressantes.

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